Forte exclusion ou faible émission ? La question provocatrice ouvre les vannes de l’exaspération. Pourtant, les Français regardent la mesure avec bienveillance, alors que le Sénat peaufine sa « mission flash ».
Les Français approuvent les zones à faible émission (ZFE). Selon le sondage réalisé par l’Institut Advent pour le Cercle des élus locaux, 65 % de l’échantillon représentatif connaît la mesure. Les deux tiers des personnes interrogées y sont favorables.
Une opinion publique ouverte
Certes, les majorités s’érodent lorsque les impacts se précisent, mais sans aller jusqu’à s’inverser : 51,4 % des sondés se déclarent prêts à changer de voiture pour accéder aux ZFE. L’idée d’une mise en place « le plus rapide possible » recueille 52,8 % d’opinions favorables. Aux élus locaux d’en définir les modalités, estiment 62,6 % des Français. Révélation du dernier apéro-débat du Cercle des élus locaux, le 16 mai à Paris, ces résultats contrastent avec la teneur des échanges introduits par les sénateurs Stéphane Sautarel et Jean-Baptiste Blanc, parties prenantes de la mission Flash lancée en mars sur ce sujet, sous la conduite de son rapporteur Philippe Tabarot.
Des sénateurs remontés
« On impose une idéologie à la société : la fin de la bagnole à la française, après la fin du pavillon à la française ! Est-on réellement prêt à ce changement civilisationnel ? » L’interrogation de Stéphane Sautarel vient clore une série de cinq questions. Les doutes du sénateur Les républicains du Cantal portent également sur le rythme, la soutenabilité économique, l’acceptabilité sociale et l’existence de solutions techniques.
L’angle d’attaque de Jean-Baptiste Blanc, lui aussi Les Républicains, porte plutôt sur la méthode qui laisse les modalités de mise en œuvre à chacune des 43 métropoles concernées : « Normalement, nous sommes pour la liberté des territoires. Mais sur ce sujet, le risque d’inégalités territoriales et sociales nous paraît trop élevé ».
« Economie sous cloche »
Rapporteur de la proposition de loi sénatoriale sur le Zéro artificialisation nette (ZAN), le sénateur Les Républicains du Vaucluse souligne la similitude des deux mesures de la loi Climat & Résilience : « Le ZAN et les ZFE sèment la zizanie ». Les deux exemples illustrent selon lui la précipitation et l’absence d’étude d’impact.
« Arrêtons de mettre l’économie sous cloche ! », réagit Pascal Tebibel, vice-président d’Orléans Métropole. Tout en appliquant la loi, comme le montrera en juin la désignation d’une assistance à maîtrise d’ouvrage pour les ZFE de sa collectivité, l’élu reprend à son compte l’idée d’un assouplissement des Crit’Air (mesure des émissions les plus nocives pour la santé publique) qui y régissent l’accès des véhicules.
« Bombe sociale »
Plus radical, le conseiller régional d’Ile-de-France Thierry Hebbrecht s’insurge contre « l’atteinte à la liberté de circuler ». Il s’attend à l’explosion d’une « bombe sociale », à une « dévalorisation du marché de l’occasion » et à « la chute de l’industrie automobile française ».
La démission récente d’Édouard Manini, coordinateur national des ZFE initialement invité à l’apéro-débat et réputé pour son interprétation souple de la loi, a privé l’Etat d’une occasion de répondre au feu des critiques. Son successeur Claude Renard, jusque-là en charge du déploiement des bornes de recharge des véhicules électriques, n’a pas pris le relai.
Une mission très attendue
La fronde n’a pourtant pas empêché l’expression de quelques voix plus conciliantes : « Comment ont fait des villes du nord comme Stockolm ? », s’interroge Philippe Donath, maire de Bourg-la-Reine (Hauts-de-Seine). « Ile-de-France mobilité ne mobilise pas assez ses parkings pour inciter à l’intermodalité en associant stationnement et billet de RER », regrette Michel Delamaire, ancien directeur général des services de l’Essonne et conseiller municipal de Feucherolles (Yvelines).
Directrice des projets stratégiques à la Société du Grand Paris, Isabelle Rivière plaide pour un phasage. Dans l’attente de la mise en service des infrastructures lourdes qui garantiront l’accessibilité aux cœurs de métropoles, la solution à court terme consisterait à redistribuer les couloirs autoroutiers au profit des autocars.
Le calendrier des ZFE contient une échéance encore plus immédiate : fin juin, la « mission flash » du Sénat rendra son rapport. A mi- parcours, elle confirme l’engouement sans précédent pour le sujet : « L’appel aux contributions du public a suscité 50 000 impulsions. C’est un record sans précédent », annonce Jean-Baptiste Blanc.